Comparé au Mozart du XXIe siècle, Richard D. James (alias Aphex Twin) est un musicien à l'assimilation musicale extraordinaire. Son nouvel album, "Richard D. James Lp" (Warp/Pias) explore sans retenue les limbes des rythmiques chaotiques que seules d'altières mélopées viennent calmer. Maître d'œuvre d'un son synthétique torturé, Richard s'est prêté au jeu des questions/réponses.Peux-tu nous parler de l’endroit où tu es né et de ton enfance ?
Richard D. James : Je suis né à Lanner, un village situé dans le centre de la Cornouailles (Grande-Bretagne). C'est un très bel endroit, en pleine campagne. Ma jeunesse a été très paisible. J'avais beaucoup d'amis et la vie à Lanner était tranquille, normale. Nous étions proches de la mer, à une heure et demie des côtes en voiture. Avec mes parents, nous aimions explorer les différentes plages. Mes parents aimaient écouter de la musique à la radio mais ils travaillaient trop dur pour pouvoir y consacrer beaucoup de temps. Aujourd'hui, à cause de ma carrière musicale, je vis à Londres avec ma girlfriend, mais j'aime toujours revenir dans mon village d’origine afin de m'y ressourcer.
Tu sembles avoir été très précoce au niveau musical…
À l'âge de 7 ans, je jouais du cornet dans la fanfare de Lanner. Je n'aimais pas vraiment cet instrument. Je me suis donc orienté vers le piano car mes parents en avaient un à la maison. À l'âge de 10 ans, j'ai commencé à réaliser mes propres compositions en enregistrant des sons, en créant des boucles, des effets avec deux magnétophones.
As-tu appris la musique, le solfège ?
Non, je n'ai jamais étudié la musique. J'ai essayé de prendre quelques leçons mais cela ne m'a pas plu. Je n'aimais pas le côté théorique. J'ai donc appris la musique par mes propres moyens. Maintenant, je gagne ma vie avec...
As-tu eu à subir ou non des influences musicales spécifiques ?
Mon père écoutait beaucoup de jazz mais cela ne m'a pas vraiment influencé. Pendant 4 ou 5 ans, au moment où j'ai mis au point mes propres compositions, je n'ai pas du tout écouté de musique. En fait, je n'avais pas l'impression de faire de la musique. J'enregistrais juste des bruits idiots avec un microphone et deux magnétophones. Avant de passer à la composition par ordinateur, j'étais obsédé par mes montages sonores sur cassette. J'y passais beaucoup de temps. Depuis, l'informatique m'a facilité le travail. J'ai suivi des études d'ingénieur et, aujourd'hui, je crée mes propres programmes.
Comment t'es-tu impliqué dans la scène acid-house ?
En 89, avec quelques amis, nous avons créé notre propre scène en Cornouailles. Nous organisions des fêtes sur les plages de la région. À l’époque, j'ai également joué en tant que Dj dans les clubs mais je me suis plusieurs fois fait jeter. J'essayais d'inclure dans mes sets mes propres compositions sonores, mais cela ne plaisait pas tout le temps. Ce qui m'a poussé à devenir Dj, c'est le fait de pouvoir quitter mon village, de jouer dans différentes villes. J'économisais de l'argent et j'allais acheter la plupart de mes disques à Londres.
Actuellement, comment travailles-tu ?
Je sample certains sons mais je sens que mon travail est plus abouti lorsque je crée et mets en place mes propres structures. J'aime le fait d'inventer par moi-même des sons et des rythmes. Il m'est arrivé aussi de sampler certaines de mes vieilles compositions afin de leur donner une nouvelle forme. Habituellement, je travaille entre minuit et midi. Pour moi, c'est la meilleure période de la journée, elle me permet de mieux me concentrer.
De quelle manière essaies-tu de faire évoluer ta musique ?
J'essaie de faire en sorte qu'elle soit de plus en plus complexe. Mais, je ne souhaite pas faire de la musique trop avant-gardiste. Je veux que celle-ci reste accessible. J'aime les structures et les mélodies simples. J'aime également les rythmiques complexes et élaborées. Mais, je ne recherche pas systématiquement cette complexité. Je m'efforce en permanence de garder un équilibre entre des parties complexes et d'autres plus faciles d'accès.
Pourquoi as-tu choisi ce nom, Aphex Twin, est-ce à cause du nom donné à une boîte d'effet ?
Non. J'ai moi-même composé le nom. Twin désigne mon frère jumeau mort-né. Il portait le même nom que moi : Richard James, sans le D pour Dick. Il est mort au moment où ma mère me donnait naissance. J'ai choisi une photo de sa tombe pour illustrer la pochette de mon prochain single. C'est une sorte d'hommage posthume.
Parle-nous de ton nouvel album, "Richard D. James Lp", sorti sur le label Warp ?
J'ai pris un peu plus de temps que d'habitude pour le réaliser, même si celui-ci a été composé d'une manière assez rapide. J'aime travailler dans l'urgence afin d'exploiter au mieux les différentes idées qui traversent mon esprit à un moment donné. Un titre comme "Girl/boy Song" m'a pris deux jours et demi de travail. Certaines des compositions de cet album ont même été élaborées en 4 heures ! J'aime composer d'une manière instinctive et spontanée.
À l’écoute de ce disque, l'easy listening et la musique classique semblent t'avoir quelque peu influencé ?
Disons que l'easy listening constitue plus une source d'inspiration qu'une véritable influence. J'aime les mélodies simples et j'essaie de les incorporer dans mon travail. Les mélodies pop ou les arrangements d'instruments à cordes classiques proviennent de choses que j'ai pu entendre à la radio. Ce sont des influences plus ou moins inconscientes qui ressortent à travers ma musique.
Est-ce qu'il t'arrive d'utiliser des instruments acoustiques ?
Cela m'arrive. Sur certains titres, j'ai utilisé le son d'un violon ou d'autres instruments à cordes. Mais, je maîtrise mieux les machines que le jeu avec de vrais instruments. À la base, j'aime la combinaison de l'électronique et de l'acoustique.
Parlons des titres de "Richard D. James Lp"...
"Cornish Acid" est juste une plaisanterie. Ce terme désigne des ploucs, des fermiers incultes qui peuplent ma région. Quand on pense à la technologie et à la Cornouailles, ce sont deux tendances antinomiques. "Peek 824542,01" désigne les références d'une pièce de mon ordinateur. "Fore Street" est le nom d'une rue de mon village. "Carn Marth" est le nom de l'endroit situé derrière ma maison. Je choisis un peu mes titres au hasard et au feeling. En général, ils désignent des choses, des objets qui m'entourent... Mais, je n'aime pas trop parler de ma musique. J'ai beaucoup de plaisir à la réaliser et j'ai toujours du mal à l'expliquer.
Comment as-tu été amené à créer ton propre label : Rephlex ?
En 92, j'ai rencontré un ami qui voulait que je sorte mes premiers disques sur son label. Le fait d'être impliqué dans Rephlex m'a finalement permis de rester indépendant, d'un point de vue créatif, vis-à-vis de Warp. Ils me laissent donc une complète liberté au niveau créatif car ils savent que j'y suis attaché. Mes réalisations sur Rephlex, sous les noms d'AFX, Caustic Window et Mike Dred, sont plus dures mais elles sont probablement les plus intéressantes du point de vue musical.
Tu as réalisé plusieurs remixes pour des artistes comme Mike Flower Pop, Meat Beat Manisfesto, Saint Etienne,... Quelle est ton approche du mixage ?
À la base, c'est uniquement une question d'argent. On me propose toujours des titres que je n'aime pas du tout en m'offrant beaucoup d'argent, donc j'accepte. Le fait de remixer ces titres devient comme une sorte de challenge pour moi. J'aime ce type de travail surtout lorsque le morceau devient un instrumental, comme dans le cas de Mike Flower Pop. Mais, il m'arrive également de refuser certains remixes. Récemment, j'ai réalisé un remixe pour Beck uniquement pour de l'argent et cela me gênait un peu car le résultat n'était pas bon. J'ai donc refusé que celui-ci sorte.
Quels sont tes projets à l'heure actuelle ?
J'aimerais bien travailler avec Kate Bush. Je voudrais réaliser quelques titres pour elle mais, pour le moment, ce n'est qu'un projet. Sinon, j'ai envie de me remettre à composer car j'ai une quantité d'idées. Cette année, je vais également rejouer live après 3 ans d'arrêt. Cela demande beaucoup de travail et je vais me concentrer là-dessus.
Propos recueillis par Laurent Gilot
Photo : DR
Aphex Twin "Richard D. James Lp" (Warp/Pias)
Sortie le 04 novembre 1996
www.drukqs.net





