Native de Harlem, Kelis est une petite furie d'une vingtaine d'années qui s'est fait repérée par le Wu-Tang Clan avant de rejoindre le duo de producteurs à succès The Neptunes. Ballottée entre les contradictions de la belle, "Kaleidoscope", son premier album, impose une soul/R&B/hip hop soyeuse et rugueuse, capable de rivaliser sans peine avec ses consoeurs du genre en attendant de détrôner un jour (qui sait ?) la reine Lauryn Hill. Entretien.A quel moment la musique s'est-elle imposée dans ta vie ?
Kelis : J'ai grandi entourée de musique. Mon père était un musicien de jazz, il jouait du saxophone et a enregistré avec beaucoup de grands musiciens. J'ai écouté la plupart de ses disques et cela a probablement forgé mes goûts musicaux. Le film "Fame" a eu une grosse influence, c'est ce qui m'a donné envie d'aller à la fac et de poursuivre des études de chant et de danse. Par la suite, je me suis très vite orientée vers le théâtre car j'étais avant tout fascinée par le côté "performance scénique".
Quelles ont été tes premières expériences en matière de chant ?
J'ai fait partie de 2 chorales. Comme la plupart des jeunes américains, vers l'âge de 7 ans, je chantais dans une chorale d'église. Cela n'avait rien d'exceptionnel, nous faisions des reprises de standards du gospel. Par la suite, j'ai passé une audition pour faire partie d'une chorale uniquement composée de filles. J'ai été prise et j'ai ainsi pu me familiariser avec le répertroire de la musique classique, les opéras allemands... Ma mère trouvait que j'étais douée pour le chant c'est pour cela que j'ai suivi ce parcours. Puis, à l'âge de 16 ans, tout en poursuivant mes études, j'ai voulu tenter de nouvelles expériences et j'ai fait partie d'un groupe de filles genre TLC, Xcape... du nom de Blu.
Quelles sont les raisons qui t'ont poussé à abandonner définitivement tes études pour la musique ?
Une fois mon diplôme en poche, je me suis dit que les études n'étaient plus faites pour moi. Je sentais que j'allais nulle part, je trouvais que j'étais arrivée à un niveau suffisamment élevé et qu'il fallait que j'arrête de perdre mon temps. A cette époque, j'ai commencé à travailler avec le Wu-Tang Clan en accompagnant au chant des artistes comme Gravediggaz.
Comment as-tu rencontré les producteurs The Neptunes ?
Au sein de Blu, il y avait un Dj, Goldfingerz, qui m'a présenté aux gens du label de Stereo MCs, Gee Street (Jungle Brothers...). Par leur intermédiaire, et grâce à ma meilleure amie Courtney Brown, j'ai fait la connaissance des deux producteurs/musiciens qui officient sous le nom de The Neptunes : Pharell Williams et Chad Hugo (Blackstreet, Mase, SWV...). Ces derniers travaillaient sur l'album de Ol'Dirty Bastard avec RZA du Wu-Tang et j'ai pu chanter sur un des titres phares : "Got Your Money". Le clip de ce dernier a eu beaucoup de succès sur MTV et les Neptunes ont voulu poursuivre l'expérience en enregistrant un album complet avec moi.
Quitter le Wu-Tang a-t-il été une décision facile à prendre ?
Certains de mes amis m'ont conseillé de continuer à travailler avec le Wu-Tang mais je faisais ça uniquement pour l'argent, ce n'était pas exactement ce que j'avais envie de faire... Toute ma vie musicale a été basée sur le jazz grâce à mes parents, j'ai donc une compréhension de la musique qui m'est propre. C'est un art que tout le monde interprète à sa manière. Quand j'ai rencontré Pharell et Chad, le courant est tout de suite passé entre nous. Il y a eu une connection instantanée, nous étions sur la même longueur d'onde, c'est ça qui m'a vraiement plu. Au printemps 98, nous avons enregistré une démo puis en janvier 99, nous nous sommes retrouvés en studio pour réaliser mon premier album, "Kaleidoscope".
Comment s'est déroulé le travail de création à trois ?
Nous avons composé les chansons de l'album ensemble, tous les trois. Chacun a apporté sa contribution. C'était une expérience incroyable car l'ambiance était exceptionnelle... je me suis donné à 100% parceque c'est très rare de trouver des personnes avec qui il existe une tel niveau de complicité. Pharell et Chad me donnaient le sentiment d'être en sécurité et cela a libéré ma créativité. Si je devais aujourd'hui désigner mes producteurs préférés, je choisirais sans hésiter une seconde les Neptunes !
Peux-tu nous éclairer sur le choix de ce titre "Kaleidoscope" ?
Je pense que c'est un titre qui caractérise bien le contenu de l'album tout en étant à l'image de ma personnalité. D'une manière générale, le kaleidoscope est un objet fait de mirroirs, de petites pièces de verres inamovibles qui offrent à chaque fois que l'on regarde à l'intérieur une image différente. Il a un côté réaliste, car c'est ce que tu vois, et en même temps ce n'est que le résultat de plusieurs reflets à travers des miroirs. Je pense que les gens sont comme cela. Au quotidien, je suis un peu comme un kaleidoscope avec des humeurs changeantes, etc...
Comment s'est déroulée l'écriture des textes qui ressemblent parfois à des dialogues homme/femme ?
La voix d'homme que l'on peut entendre sur plusieurs titres de l'album est celle de Pharell. Nous avons tous les deux écrit les textes des chansons. La moitié des sujets abordés provient d'expériences vécues alors que l'autre moitié est le fruit de mon imagination. Ces deux aspects sont importants car ils reflètent ma personnalité.
Pourrait-on te considérer comme une féministe ?
Sur scène je suis accompagnée par un groupe 100% féminin mais ce n'est pas pour autant que je me considère comme une féministe pure. Je ne hais pas les hommes, je les adore (rires). Je suis fière d'être une femme, je suis très féminine et je pense que les femmes sont aussi bonnes que les hommes. Si cela signifie être féministe, alors je le suis !
Comment vis-tu ta condition de femme noire aux Etats-Unis ?
Dans mon pays, il y a beaucoup d'injustices, c'est quelque chose que je déplore mais c'est mon "chez moi". A New York, il y a de nombreuses tensions entre les communautés noires et blanches et c'est quelque chose d'assez dingue ! A travers mes différents voyages en Afrique, Europe, Canada..., j'ai réalisée que c'était partout pareille. Dans tous les pays, il y a des problèmes raciaux et c'est assez absurde de retrouver sans cesse face à ce genre d'attitude. Cela te donne l'impression que le monde est très petit, peuplé d'esprits étriqués...
Propos reccueillis par Laurent Gilot
Photo DR
Kelis : "Kaleidoscope" (Virgin)
www.kelisonline.com





