Originaire de Sheffield, le label Warp a révélé de nombreuses individualités artistiques qui sont très vite devenues de véritables références en matière de musique électronique. Désormais à la croisée des chemins entre synthétique et acoustique, le label frondeur fête aujourd'hui les 10 ans d'une existence riche en sensations auditives à travers une véritable anthologie en 3 volumes !
WARP THIS WAY
C'est face à un Rob Mitchell (l'une des deux têtes pensantes de Warp) très occupé que nous avons à faire en cette fin de matinée. La sortie de trois doubles Cds en forme de
synthèse d'une décennie n'est pas un projet ordinaire. Cet évènement nous permet ainsi de nous replonger avec lui dans l'histoire de ce label hors-norme qui a libéré toute une génération d'artistes à l'imagination débordante, de Aphex Twin à Plone, de Autechre à Plaid...Une ville comme Sheffield n'offre guère d'alternative à ses habitants : jouer au football ou sombrer dans l'alcoolisme. En fin de compte, la musique devient rapidement le plus sûr moyen d'échapper à un environnement quotidien industriel et déprimant.
C'est sur le terreau d'un passé musical riche (Cabaret Voltaire, Human League, Heaven 17, Pulp...) que Warp va s'appuyer pour offrir une musique résolument tournée vers le futur. "Au départ, nous étions impressionnés par les disques en provenance de Detroit, Chicago. Nous voulions juste créer un bon label anglais de musique électronique et novatrice. Je connaissais déjà Rob Mitchell car nous avions joué dans un groupe de rock ensemble (Steve et Rob ont sorti 2 disques de Pulp sur l'obscur label Gift Recordings). A l'époque je travaillais dans un magasin de disques et cela a facilité les choses".
Collectant les white labels et les bandes des musiciens locaux, Steve et Rob réunissent un peu d'argent et lancent le label avec 500 copies du maxi "Track With No Name" de The Forgemasters. Sweet Exorcist (avec Richard H. Kirk, ex-Cabaret Voltaire), LFO (dont le premier album majeur, "Frequencies", fut en 91 le premier gros succès de Warp), Nightmares On Wax, Tricky Disco... vont ensuite asseoir la réputation du label dans le circuit alors underground des musiques électroniques à tête chercheuse.
THE TEN YEAR ITCH
Dix ans après, l'orientation musicale a quelque peu changé mais l'esprit est resté le même : "Au cours de ces dernières années, nous avons cessé d'être un pur label électronique avec les différents artistes que l'on a
signés. Mais nous avons essayé de garder le même niveau de qualité dans nos productions et le même souci de rester originaux."Jimi Tenor, Red Snapper, Squarepusher ou Broadcast mêlent sans complexe instruments acoustiques/électroniques sur scène et dans leurs albums respectifs.
"Ces formations utilisent de vrais instruments mélangés à des sons synthétiques et nous croyions que des musiques étonnantes peuvent être produites au croisement de l'acoustique et de l'électronique. On peut d'ailleurs entendre ce mélange sur la compilation de remixes." Sur cette dernière, les relectures de formations telles que Stereolab, Mogwai, Labradford, Spiritualised, Jin O'Rourke, Oval... prouvent que la notoriété du label a dépassé le cadre stricto sensu des musiques synthétiques.
Mais ce genre d'orientation n'est pas sans poser de problème aux puristes, Rob confirme : "Beaucoup ont été horrifiés lorsque nous avons cessé d'être un label purement électronique. Mais, ce qui nous importait le plus était d'avoir une palette d'artistes aussi variée que possible et c'est, je crois, ce que nous avons réussi à constituer". Face à la popularité grandissante des nouvelles musiques, la house et la techno étant aujourd'hui des courants "mainstream", Warp a su faire les bons choix afin de ne pas s'enliser dans le conformisme sonique ambiant. Lucide, Rob analyse : "Parfois la musique qui semble extrême à une époque peut devenir un clasique quelques années plus tard. Tu dois juste de contenter de continuer à explorer et trouver de nouvelles directions. Avec Warp, nous essayons en permanence de ne pas nous répéter. A la fin des années 80, très peu de gens faisait de la house. Actuellement toute l'industrie est tournée vers ce genre, c'est pour cela que nous essayons d'emprunter des voies différentes, interessantes et fraîches."
Souhaitant éviter tout effet de sclérose, Warp part aujourd'hui s'installer dans la capitale anglaise : "La plupart des artistes du label y vivent et la majeure partie de la scène musicale et du business se trouvent à Londres. Nous pensons que c'est un palier nécessaire à notre évolution".
PURPLE WORLD
Derrière des pochettes semi-violettes (en référence à la couleur des premiers maxis du label) au design soigné, "Influences", "Classics 89-92" et "Remixes" constituent aujourd'hui la trilogie essentielle pour comprendre le phénomène "Intelligent techno" dont Warp a été involontairement le géniteur. "Nous voulions dr
esser une sorte de panorama historique et regrouper des morceaux d'anthologies de la house-music, ceux qui nous avaient le plus impressionnés au moment de leur sortie. Certains n'ont d'ailleurs pas perdus de leur pertinence car ils se distinguaient du reste de la production musicale de l'époque". Pour mener à bien le projet et proposer un panorama en partie exhaustif, Steve et Rob ont demandé à des artistes venus d'horizons musicaux divers de proposer leurs relectures de certains classiques du catalogue Warp. Cet exercice de style est révélateur de l'impact des musiques électroniques sur les styles musicaux traditionels comme la pop, la soul ou le rock."La plupart connaissaient les productions du label. Le plus dur n'a pas été de les convaincre de faire de remixes mais de les faire dans des délais impartis". Optimiste, Rob poursuit : "Nous allons continuer à développer nos artistes", une affirmation plutôt rare au sein d'une industrie où les artistes papillonnent souvent d'un label à l'autre, mais Rob explique très bien l'état d'esprit Warp : "Nous n'avons pas de mal à garder nos artistes car nous respectons complètement leurs choix. Nous sommes très, ou trop (rires), respectueux de leurs désirs mais c'est notre façon de travailler. Nous pensons qu'un label doit avant tout se concentrer sur la qualité et ne pas devenir une simple marque de fabrique et se focaliser sur un genre musical précis. Le plus important est que l'on se rende compte que nous nous occupons de nos artistes, que nous portons de l'intérêt à leur travail".
Warp est en fait une abréviation de "We Are Reasonable People". Gageons qu'ils ne le seront pas trop dans les années à venir !
Rob Mitchell : R.I.P.
Texte : Laurent Gilot
Photo : DR
www.warprecords.com






