Difficile, à l'heure actuelle, d'échapper aux robots Daft Punk. On ne compte plus le nombre de couvertures (Technikart, les Inrockuptibles, Rock'n'Folk, Télérama, MP3 mag…), articles (le Figaro, Le Nouvel Observateur, l'Expansion…) et pubs (affichage métro…). Il est vrai que "Discovery" contient tous les ingrédients d'un succès populaire. Avec ce nouvel opus, le duo parisien a compris tout le parti qu'il y avait à tirer d'une récupération ironico-sentimentale de styles pour lesquels le grand public conserve une affection nostalgique, même s'ils ont été délaissés par une grande majorité des groupes actuels. À l'instar du "Discovery" d'Electric Light Orchestra en son temps (1979), l'album des Daft Punk fait la parfaite synthèse des courants musicaux de ces 30 dernières années : revival 70's/80's (new-wave, electro, rock FM, nombreux samples ou réarrangement de tubes funk plus ou moins obcurs…) allié aux rythmiques et filtres de la techno/house. Au-delà des jeux de pistes référentiels que cet album a engendrés auprès des journalistes, "Discovery" a la volonté naïve, mais louable, de restituer les premières sensations musicales de Guy-Manuel et Thomas, à un âge où ils pouvaient écouter indifféremment Giorgio Moroder et AC/DC. Disque régressif, certes, mais disque cathartique également. À une époque où ce qui est ringard est à la mode, les Daft tentent le grand écart stylistique, se cherchent une crédibilité de musiciens et prouvent, par la même occasion, qu'ils peuvent faire autre chose que de simples tubes pour dancefloors. Alors pourquoi ce disque devrait-il se distinguer de la centaine qui sortent par mois ? Tout simplement par l'aptitude du duo à faire mouche avec le grand public à un moment donné. Et ce moment est arrivé.
Vous arrivez à la fin d'un marathon promotionnel. Est-ce que le fait de parler aux journalistes et d'expliquer votre travail vous apporte quelque chose ?
Guy-Manuel de Homem Christo : Analyser notre musique n'est pas quelque chose que l'on fait systématiquement, on n'en discute pas du tout entre nous. Par contre, lorsqu'on nous demande de le faire, nous nous prêtons volontiers au jeu, parfois, on découvre des choses, peut-être… En tout cas, on essait de se rapprocher de la réalité à travers les mots.
Thomas Bangalter : Disons que nous essayons d'analyser un peu, de comprendre ce qu'on fait. On pense à haute voix, on nous demande des choses auxquelles on n'a pas forcément pensé au début. Après le discours s'affine peut-être un peu. Nous n'avons pas la volonté de nous justifier mais nous respectons vraiment les médias dans leur ensemble. C'est vrai que, lorsqu'on donne des interviews, ça ne nous intéresse pas de considérer cela comme de la promo, on aime instaurer un jeu créatif dans la façon dont on se présente. Il y a eu une petite explosion dans notre home-studio et que nous sommes devenus des robots (sourire). On essaye toujours de s'amuser en ayant un discours à la fois léger, un peu comme notre musique, et plus sérieux, mais d'une manière sous-jacente. Nous sommes toujours prêts à communiquer, à essayer d'éviter, dans une certaine mesure, quelques malentendus même si l'on estime que la musique parle d'elle-même.
Tu parles de volonté d'éviter certains malentendus. Est-ce que vous avez peur d'être attaqué par les puristes avec ce deuxième album ?
T : Il y a deux choses. Tout d'abord, on peut tout à fait imaginer que nous allons être attaqués par certains puristes. En fait, nos deux albums ont été enregistrés dans des environnements et des contextes totalement différents. En 95/96, on se trouvait dans une situation où la musique électronique n'était pas vraiment comprise et acceptée. La scène était marginale sans réelle distinction entre les indépendants et le système des majors compagnies. Il n'y avait vraiment aucune compréhension entre les deux. Nous nous sommes battus pour démontrer que l'on pouvait faire accepter cette musique. On a été les premiers à établir un dialogue avec une maison de disques multinationale et à faire accepter l'idée de faire cette musique avec des standards, au niveau technique, qui n'étaient pas ceux des professionnels. C'est un peu le même phénomène auquel on assiste dans le cinéma aujourd'hui avec 3, 4 ans de décalage par rapport au monde de la musique. Avec les films en vidéo-digitales, on s'aperçoit qu'il n'y a pas de raisons réelles d'avoir des normes professionnelles techniques. Je pense qu'aujourd'hui la musique électronique a été totalement acceptée, assimilée, comprise et récupérée avec un certain bon sens, d'une façon très positive par la société. Elle n'est plus associée à un phénomène de mode ou à la prise de drogues. Aujourd'hui, il y a plein d'artistes qui travaillent avec des majors, qui font de la musique dans des home-studios. Finalement, le mot underground ne veut plus dire grand chose.
Guy-Manuel de Homem Christo : Analyser notre musique n'est pas quelque chose que l'on fait systématiquement, on n'en discute pas du tout entre nous. Par contre, lorsqu'on nous demande de le faire, nous nous prêtons volontiers au jeu, parfois, on découvre des choses, peut-être… En tout cas, on essait de se rapprocher de la réalité à travers les mots.
Thomas Bangalter : Disons que nous essayons d'analyser un peu, de comprendre ce qu'on fait. On pense à haute voix, on nous demande des choses auxquelles on n'a pas forcément pensé au début. Après le discours s'affine peut-être un peu. Nous n'avons pas la volonté de nous justifier mais nous respectons vraiment les médias dans leur ensemble. C'est vrai que, lorsqu'on donne des interviews, ça ne nous intéresse pas de considérer cela comme de la promo, on aime instaurer un jeu créatif dans la façon dont on se présente. Il y a eu une petite explosion dans notre home-studio et que nous sommes devenus des robots (sourire). On essaye toujours de s'amuser en ayant un discours à la fois léger, un peu comme notre musique, et plus sérieux, mais d'une manière sous-jacente. Nous sommes toujours prêts à communiquer, à essayer d'éviter, dans une certaine mesure, quelques malentendus même si l'on estime que la musique parle d'elle-même.
Tu parles de volonté d'éviter certains malentendus. Est-ce que vous avez peur d'être attaqué par les puristes avec ce deuxième album ?
T : Il y a deux choses. Tout d'abord, on peut tout à fait imaginer que nous allons être attaqués par certains puristes. En fait, nos deux albums ont été enregistrés dans des environnements et des contextes totalement différents. En 95/96, on se trouvait dans une situation où la musique électronique n'était pas vraiment comprise et acceptée. La scène était marginale sans réelle distinction entre les indépendants et le système des majors compagnies. Il n'y avait vraiment aucune compréhension entre les deux. Nous nous sommes battus pour démontrer que l'on pouvait faire accepter cette musique. On a été les premiers à établir un dialogue avec une maison de disques multinationale et à faire accepter l'idée de faire cette musique avec des standards, au niveau technique, qui n'étaient pas ceux des professionnels. C'est un peu le même phénomène auquel on assiste dans le cinéma aujourd'hui avec 3, 4 ans de décalage par rapport au monde de la musique. Avec les films en vidéo-digitales, on s'aperçoit qu'il n'y a pas de raisons réelles d'avoir des normes professionnelles techniques. Je pense qu'aujourd'hui la musique électronique a été totalement acceptée, assimilée, comprise et récupérée avec un certain bon sens, d'une façon très positive par la société. Elle n'est plus associée à un phénomène de mode ou à la prise de drogues. Aujourd'hui, il y a plein d'artistes qui travaillent avec des majors, qui font de la musique dans des home-studios. Finalement, le mot underground ne veut plus dire grand chose.
C'est pour cela que vous avez voulu faire évoluer votre musique en y intégrant des influences plus larges que celles de la musique électronique ?
T : Il y a peut-être une confusion de notre part pour vraiment nous définir. On aurait l'impression de radoter si on faisait toujours la même musique que sur notre premier album, "Homework". Nous n'avons plus envie de démontrer quelque chose qui n'est plus à démontrer, qui est complètement accepté au point de devenir, d'une certaine façon, la norme. Avec leurs règles très précises, la house et la techno sont devenues des styles qui sont maintenant acceptés et récupérés au même titre que le funk, la soul, le disco, le hard rock ou la pop. Tout le monde sait très bien comment cela sonne. Ce qu'il y a d'amusant, c'est que les puristes et les gens qui défendent cette musique la défendent selon les règles qui étaient celles du système précédent. Nous, on a tendance à être un peu plus subversifs en se disant que la house music et la techno, plus que des styles musicaux, sont un état d'esprit, une façon d'être vraiment libre, de ne pas se conformer aux étiquettes, aux catégories. Nous n'avons pas envie de faire ce que l'on peut attendre d'un groupe comme Daft Punk. Nous tentons de repousser les limites, de casser les règles, les barrières entre les différents styles et on se pose la question du sens de la musique électronique aujourd'hui, de l'importance de ce que l'on peut faire. Auparavant, nous composions des morceaux de 10 minutes très minimaux, nous voulions montrer que c'était de la vraie musique. Aujourd'hui, tout le monde le sait. Avec "Discovery", l'idée était de faire des titres de 4 ou 3 minutes 30 sur un disque electro. Certains puristes pourraient considérer que ce sont des formats très traditionnels et conventionnels mais, nous, on estime que c'est beaucoup moins classique que de faire des morceaux de 8 à 10 minutes comme c'est la norme aujourd'hui.
En fait, vous voulez retrouver l'esprit des débuts de la house.
T : Nous voulons retrouver l'état d'esprit propre à la house music que les gens de Chicago ou Detroit défendaient à la fin des années 80. C'est un style qui a émergé en réaction au système de l'époque parce qu'il y avait une totale inadéquation entre les maisons de disques et ceux qui voulaient créer des choses, s'exprimer à travers la musique. Les artistes de la house sont donc devenus indépendants par nécessité. Aujourd'hui, on a l'impression d'avoir gardé le contrôle parce qu'on avait, dès le départ, envie de cette liberté, de rester indépendants tout en travaillant avec le système, en s'appropriant de plus en plus de moyens d'expression, de production. En tant qu'artistes, nous avons envie de partager notre musique avec le plus grand nombre tout en gardant notre intégrité.
Avez-vous aujourd'hui le sentiment que Daft Punk est finalement devenu un produit comme un autre sur le marché ?
T : Euh, non pas du tout… Déjà, nous ne sommes pas là pour plaire à tout le monde, le consensus, c'est pas du tout ce qu'on recherche. Ce qu'on veut, c'est pouvoir faire un disque, du début jusqu'à la fin, en ayant le maximum de liberté artistique sur la musique, l'image, etc… Ce qui était avant de la promo, du marketing, nous essayons de plus en plus de le transformer en processus créatif. Que notre disque soit visible et accessible dans un supermarché, cela nous fait très plaisir. N'importe quel artiste qui dit ne pas vouloir être accessible au plus grand nombre est un menteur parce que la base de l'art, c'est de le faire partager avec le plus grand nombre. Sur "Discovery", on n'a pas l'impression de s'être compromis, personne ne nous a dit : "Voilà la musique que vous devez faire, la pochette que vous devez concevoir, etc…".
Quel effet cela vous fait de faire un come-back à l'âge de 26 ans, pour Thomas, et 27 ans, pour Guy-Manuel ?
T : C'est vrai que ça ressemble à un come-back parce qu'on vit à une époque où tout va tellement vite. C'est assez paradoxal. En fait, aujourd'hui, à chaque morceau, chaque album, tu dois te réinventer. C'est sûr que nous, on aime beaucoup l'innovation comme valeur, l'idée d'avancer tout le temps. Auparavant, les évolutions musicales se faisaient sur des périodes de 5 ans, puis par album et, aujourd'hui, c'est par morceau. Parfois, on a le recul nécessaire et on peut s'amuser avec la répétition comme c'est le cas sur "One More Time".
En même temps, vous avez cherché à brouiller les pistes en mélangeant plusieurs influences dans votre nouvel album…
T : Nous n'avons pas fait les choses pour les gens donc on ne cherche pas à brouiller les pistes. C'est un album vraiment personnel, on cherche avant tout à se prouver des trucs. Nous n'avons pas la prétention d'apporter des solutions pour le monde et pour les gens qui nous suivent. Nous, nous sommes contents de fonctionner d'une manière totalement autonome. Un morceau comme "One More Time", on l'a sorti d'une façon non commerciale : c'est-à-dire qu'il n'y a pas eu de remix, pas tout un arsenal de promotion autour… On fait des petites expériences d'une manière empirique, on s'amuse. C'est vrai que ça nous a fait très plaisir d'être numéro 1 des ventes en Europe avec "One More Time" sans aucun vidéo-clip à l'appui. Mais, ce n'est pas une fin en soit. Avec nos morceaux, on essaye de se dire comment on va pouvoir faire bouger les choses, un peu à la manière de Radiohead sans sortir de vidéos. Nous cherchons à démontrer que tout ce qui paraît systématique au moment de la sortie d'un disque ne l'est en fait pas forcément, on peut toujours trouver des alternatives. Pour bénéficier de cette liberté, on a eu la chance de le vouloir dès le départ, c'est plus difficile de gagner sa liberté que de la conserver.
Comment avez-vous pensé le concept global de "Discovery" et l'orientation musicale que vous souhaitiez prendre ?
T : Nous nous sommes posés un peu la question du sens de notre musique. Le premier album était un manifeste de dance music mais on ne voulait pas rentrer dans quelque chose de systématique, faire seulement de la musique fonctionnelle sans autre but que de faire danser les gens. Un des trucs que l'on a constatés, c'est cette segmentation entre une musique destinée aux clubs et, à l'opposé, une musique qualifiée d'ambient ou downtempo pour une écoute domestique. Ces deux styles peuvent très vite tomber dans des clichés, tomber dans l'aspect caricatural. On s'est dit qu'il y avait peut-être un juste milieu, composer une musique qui puisse un peu plus véhiculer des émotions. Pour nous, la musique est toujours un peu la BO de la vie, elle peut accompagner différents moments de celle-ci tout en conservant une certaine énergie. Un morceau comme "Window Licker" d'Aphex Twin nous a vraiment épatés, impressionnés parce qu'il sonnait comme rien d'autre tout en étant accessible instantanément. Ce titre nous a montré une voie alternative. C'est sûr que cette musique entre deux courants peut perturber certaines personnes. Sinon, l'album a été enregistré de la même façon que "Homework" à 95 %, mis à part quelques sessions faites à New York avec Romanthony. "Discovery" a été enregistré au même endroit que le premier disque, avec le même matériel, sans ajout réel, à part une guitare ou un piano électrique par-ci, par-là. L'idée était de faire des chansons électroniques sans que celles-ci soient totalement en rupture avec ce qu'on avait fait auparavant. Cette fois-ci, les morceaux durent 3 ou 4 minutes avec 30 ou 40 idées dans chaque titre. On a utilisé différentes couches de fréquences avec une dimension un peu plus émotionnelle, des harmonies, des mélodies pour délivrer une musique moins physique qu'auparavant.
Quand vous dites que vous voulez mettre plus d'émotions dans votre musique, est-ce que vous allez chercher à plus vous dévoiler où est-ce que vous souhaitez continuer à avancer masqués ?
T : À travers le fait de porter des masques, il y a un côté thérapeutique. Nous nous posons moins la question de l'effet que ça peut avoir sur les gens, c'est vraiment une démarche personnelle. La légitimité de la demande extérieure, nous ne l'avons jamais vraiment comprise car il s'avère que, depuis la fac, l'on fait avant tout de la musique pour s'amuser. Le premier disque, "Homework", nous l'avons enregistré en n'en faisant qu'à notre tête, sans se soucier de ce que cela allait engendrer. Notre seul souci, c'était alors de travailler avec une maison de disques afin que notre album soit visible dans les supermarchés. Le fait d'avoir vendu 2 millions de disques, contrairement à ce que certaines personnes peuvent penser, a été un encouragement à continuer dans cette direction. "Homework", on ne l'a pas fait pour les gens, on l'a fait pour nous avec notre sensibilité et peut-être que 2 millions de personnes ont approuvé cette chose-là. S'il avait fallu écouter les gens, nous aurions fait la suite logique de "Homework". Mais, nous avons pris le problème à l'envers, on s'est dit que c'était une incitation à garder notre tête enfouie dans ce qu'on avait envie de faire, un encouragement pour évoluer naturellement. Lorsque nous composons un morceau, nous essayons de cristalliser des émotions pour nous-mêmes. Maintenant, s'il y a des gens qui sont sensibles à cette même émotion, hé bien c'est formidable.
Pourquoi ce choix d'un look robotique ? Est-ce un hommage à Kraftwerk ?
T : Auparavant, on se cachait tout le temps, on avait une identité fuyante. Aujourd'hui, on a enlevé nos masques, nous sommes devenus des robots. On a une identité et une personnalité qui est définie, c'est une grande différence. Quand on regarde les robots de "La guerre des étoiles", on n'a pas l'impression de se trouver face à des acteurs, on a vraiment l'impression de voir des personnalités. Nous n'avons pas une approche radicalement différente, c'est juste un reflet de la façon non conventionnelle dont on fait les choses.
Vous avez eu 3 ans pour écrire de nouveaux morceaux, est-ce que vous en avez d'autres en réserve ?
T : Non, la plupart sont sur l'album. Le disque n'a pas été enregistré dans un gros studio, c'est pour cela que l'on a pris plus de temps. On s'est attardé à faire des choses que l'on ne maîtrisait pas du tout. À la base, on sait faire des morceaux destinés aux clubs, il a donc fallu que l'on trouve de nouvelles structures de chanson à l'aide de la technologie. On a essayé d'expérimenter afin de créer des petits blocs de 3/4 minutes avec plein d'idées à l'intérieur. On avait cette idée en tête sans savoir à l'arrivée ce que cela allait donner.
Avec la sortie de "Discovery", vous allez lancer le système Daft Club. Est-ce, en quelque sorte, une solution pour contrecarrer Napster et le téléchargement gratuit ?
T : Nous n'avons ni la volonté, ni la prétention d'apporter des solutions pour le public. On se pose juste des questions par rapport au processus créatif qu'on instaure. Depuis 4 ans avec l'explosion de la musique électronique et d'internet, nous nous plaçons en tant que créateurs et utilisateurs. Globalement, Napster est quelque chose de très positif. Ce phénomène montre l'importance de la musique pour les gens, à quel point la technologie leur permet de communiquer, d'échanger des fichiers sons. D'un point de vue artistique, la gratuité pose un vrai problème. C'est vrai que la musique est extrêmement chère et que le système ne fait aucun effort pour y remédier mais il y a une vraie différence entre le fait de récupérer un album sur Napster et le fait d'acheter un CD. On en vient presque à un système où payer pour avoir l'album d'un artiste serait une oeuvre de charité. Ça ne remet pas en cause l'existence de Napster mais ça pose un certain nombre de questions. Napster est plutôt une menace pour la conscience des utilisateurs. Ces derniers pourraient s'imaginer que la musique doit être totalement gratuite sur internet et, pourquoi pas, considérer, à un niveau global, que l'art devrait être gratuit avec absence de rémunérations pour les créateurs. C'est un vrai danger. Nous, on souhaite faire évoluer les choses et arriver à des solutions intéressantes. C'est ce qu'on a voulu faire avec le Daft Club. L'idée première du Daft Club est de casser les formats traditionnels, de repousser les limites du système.
Peut-on revenir sur la genèse de ce projet développé à travers la structure Daft Life ?
T : Il y a maintenant plus d'un an, lorsqu'on a commencé à travailler sur ce projet, beaucoup de gens n'y croyaient pas car on avait des idées un peu fofolles. Nous nous sommes alors beaucoup investis et le projet s'est monté progressivement. On a contacté plusieurs sociétés qui travaillaient dans le domaine du numérique et c'est Intertrust, à Santa Clara (USA), qui nous a apporté les meilleures solutions. C'était la première fois qu'ils travaillaient sur ce genre de projet et c'était très excitant pour eux comme pour nous. On a développé un player spécifique qui permettra de télécharger des remixes ou versions inédites en format MP3 sécurisé. Nous sommes partis pour travailler pendant un an sur ce projet. On a voulu avant tout conserver le côté attractif de Napster : c'est-à-dire avoir la nouveauté avant tout le monde.
Quels sont les avantages réels liés au Daft Club ?
T : Aujourd'hui, on a un disque qui dure 74 minutes et l'on ne peut en sortir un que tous les 2 ou 3 ans. Avec ce système, on ne peut pas bénéficier de la flexibilité permise par internet, cette possibilité de faire les choses d'une manière plus ou moins continue, de casser les retards entre le moment où un morceau est conçu et le moment où il touche les gens. On s'est dit que l'on pouvait intégrer cette merveilleuse technologie qu'est internet dans notre processus créatif. Et puis, on avait le désir de proposer un petit plus pour le prix d'un CD normal. Il y aura ainsi une différence entre les gens qui achèteront le disque, avec la carte et leur code d'accès confidentiel, et ceux qui téléchargeront "Discovery" sur Napster. C'est, en quelque sorte, une façon de remercier les gens qui achètent le disque. Nous sommes assez fiers d'avoir pu convaincre une major, en l'occurrence Virgin, de nous suivre dans cette démarche très personnelle, de prendre tous les risques que cela implique.
Sinon, que va vous apporter le Daft Club concrètement ?
T : Ce qu'il y a de bien, c'est qu'on va sortir du schéma traditionnel qui entoure la création et la sortie d'un album. Le lendemain de la sortie de "Homework", c'était très déprimant car il y avait eu tellement de préparations et, d'un seul coup, nous nous sentions complètement vidés à l'idée qu'il allait falloir repartir de zéro. Le Daft Club nous permet de trouver une nouvelle façon de fonctionner mais on ne sait pas à quel résultat on va arriver. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il y a un début, le 12 mars 2001, et une fin, le 31 décembre 2002. L'idée, c'est, qu'entre temps, le processus créatif n'aura pas de fin.
Avec ce système, n'y a-t-il pas un risque de rentrer dans une logique de produit et que, finalement, le côté créatif soit relégué ?
T : Bien sûr, c'est un risque. C'est surtout une expérience, une façon de produire et de consommer la musique différemment. On se situe dans un domaine à part mais on n'a pas la volonté de créer de la musique de la même façon qu'on enregistre un album. La musique électronique est un genre qui permet le recyclage, le remixage à l'infini.
Comment aimeriez-vous que l'on se souvienne de vous dans 20 ans ?
T : Nous ne faisons pas les choses de façon posthume. Notre démarche se fait au présent, c'est pour cela que l'on fait très attention à tout ce que l'on entreprend. On croit vraiment à ce qu'on fait, on a l'amour de la création en général. Nous avons tellement de chance d'avoir la possibilité de faire ça que l'on ne veut pas faire n'importe quoi. Daft Punk est un divertissement avant tout, on ne veut pas rester 10 heures par jour enfermé dans un studio à faire de la musique. Nous avons envie de toucher à tout : le son, l'image, la vidéo, etc… On a le contrôle sur ce qu'on fait car le financement de toutes nos activités passe par notre société, Daft Life. Mais, nous ne sommes pas des "control freaks", nous voulons juste être libres.
Texte : Laurent Gilot
Photo : DR
Daft Punk "Discovery" (Labels/Virgin)
Sortie le 12 mars 2001
www.daftpunk.com





