Pouvez-vous évoquer vos parcours musicaux respectifs ?
Caroline Hervé : Avec Michel, nous nous sommes rencontrés il y a 10 ans à Grenoble. Nous fréquentions la même boîte de nuit qui passait les premiers disques de techno et de new beat. Par la suite, nous avons fréquenté les premières raves organisées dans la région. À l'époque, je me suis mise à bosser dans un club à la mode espagnole comme gogo danseuse après avoir fait une prépa en Arts Graphiques à Marseille. Je venais de quitter le foyer familial et il fallait que
je gagne rapidement de l'argent. Pour moi, les raves ont été une véritable révélation musicale. Auparavant, j'écoutais beaucoup de new wave, Joy Division, Duran Duran… Mais, grâce à la musique électronique, je me suis intéressé à toute sorte de genre comme le jazz, la soul ou le funk. En avril 94, j'ai voulu passer derrière les platines sous le pseudo de Miss Kittin. Trois mois plus tard, j'étais bookée pour ma première soirée…Michel Amato : J'ai commencé à faire de la musique à la fin des années 80 dans un groupe electro-industriel. C'est au début des années 90 que j'ai découvert la techno et que j'ai commencé à produire des morceaux dans cette veine. Avec Benoît Bollini (aka Money Penny Project), nous avons formé XMF dont l'orientation musicale était assez dure, proche des sonorités hardcore de l'époque. Puis, en 99, j'ai sorti mon premier album sous le nom de The Hacker, "Mélodie en sous sol", sur le label grenoblois Goodlife.
Lorsque vous avez formé le duo, avez-vous décidé d'une orientation musicale particulière ?
M.A. : Nous ne tenions pas à faire de la techno au sens classique du terme. Nous voulions revenir au format chanson comme aux débuts du genre dans les années 80. Ce qui me plaisait le plus à cette époque, c'était le son des productions, enfin, jusqu'en 84, car, par la suite, tout est devenu très formaté. J'aimais beaucoup ce que faisait New Order en mélangeant une certaine forme de mélancolie à l'intérieur de morceaux dansant.
Votre premier disque sur Gigolo records est sorti en 1997. Comment avez-vous décroché ce contrat ?
C.H. : En fait, c'est très simple. J'ai rencontré DJ Hell en 95 lors d'une rave à Marseille. Il était en train de démarrer son label, Gigolo, en signant David Carretta. Il m'a dit que si j'avais des morceaux à lui faire écouter, je pouvais lui envoyer. Il a été emballé et nous avons alors sorti deux Eps sur le label : "Champagne! EP" en 98 et "Intimités" en 99.
Michel, peut-on dire que le morceau "L'homme dans l'ombre" est à l'image de ton rôle au sein du duo
C.H. : A la base, c'était un gag. À un moment donné, ce morceau était un titre d'introduction lors de nos concerts. On se disait que, pour des "Froggies", le fait de débuter son show par un titre en français faisait branché (rires). Quand DJ Hell a voulu que ce titre figure sur notre premier album, j'ai dit à Michel qu'il fallait que l'on réécrive les paroles car, à la base, elle ne voulait pas dire grand chose (rires).
M.A. : C'est vrai que c'est, en partie, moi l'homme dans l'ombre…
C.H. : C'est vraiment devenu un gag lorsqu'on a commencé à donner des ITW où nous plaisantions sur ce morceau. Que ce soit Michel ou moi, nous ressortions à chaque fois le fait qu'il avait toujours envie d'être le type qui se tient dans l'ombre derrière son synthé. À la fin d'une journée promo, il nous arrivait de ne plus être tout à fait clair dans notre explication du titre. Les journalistes ne comprenaient plus rien et nous étions explosés de rires ! Ce titre est donc un souvenir de cette période.
Peut-on dire que certains de vos textes sont autobiographiques comme "Stripper", par exemple, qui parle d'une de tes amis ?
C.H. : "Stripper" est une chanson sur ma meilleure amie qui bosse dans un strip de la rue de Berne (Genève). Si je devais être quelqu'un d'autre que moi-même, j'aimerais être cette fille car je la trouve hyper talentueuse dans son domaine. Elle est belle et, en fait, c'est une artiste contemporaine. Pour avoir une certaine stabilité, un boulot fixe et un peu d'argent de poche, elle bosse dans un strip. Même si, aujourd'hui, elle vit de son art, elle a vraiment voulu profiter de l'opportunité de devenir strip-teaseuse dans un Peep Show. Quand elle est venue m'annoncer qu'elle avait décrocher le job, je me suis dit que jamais je ne pourrais faire ça. Je lui ai alors dit qu'elle arrivait toujours à me surprendre et que je l'aimais vachement pour cela. Ce titre est un hommage à cette copine. Les paroles soulignent le fait que cette fille est un peu l'inspiration de ma vie. C'est une relation hors du commun car c'est assez rare d'avoir une copine qui est strip-teaseuse. Je trouvais que c'était un bon thème pour en faire une chanson.
Pouvez-vous nous parler de votre expérience de la scène ?
C.H. : Cela fait déjà 4 ans que l'on joue en live…
M.A. : En France, nous avons joué l'été dernier à Astropolis, juste après Suicide. Nous avons apporté un peu de bonne humeur parce qu'avec Suicide, ce n'était pas la joie. Il y a quelque chose qui devait faire chier Alan Vega (Chanteur de ce duo new-yorkais formé aux débuts des années 70) car il était plutôt mal luné.
M.K. : Ouais, les vieux croûtons qui se croient encore dans les caves à New York et qui tirent la tronche, ça va un moment…
M.A. : Ils sont dans un autre trip…
C.H. : Je ne connais pas du tout leur musique, mais j'étais contente de pouvoir dire que j'avais vu Suicide sur scène même si j'étais vraiment déçue par leur prestation. Martin Rev, le taré aux claviers, m'a, par contre, bien plu (rires). Vega, lui, il se la joue. Michel a retrouvé Martin après le concert : il était en train de marcher en rond sous la pluie, la veste sur les épaules…
M.A. : Ils sont allés assez loin au niveau des drogues… Pour en revenir à notre expérience scénique, certains pays, comme l'Allemagne, sont très demandeurs pour nous voir en live. Mais, je n'ai pas envie d'en faire trop à ce niveau-là, il faut que chacune de nos prestations garde un côté relativement spontané… Je ne veux pas lasser les gens. Sur scène, j'ai un mini-disc sur lequel il y a des versions instrumentales des morceaux sans certaines nappes ou certains sons. En fait, je joue la mélodie en direct sur l'un de mes deux synthés et Caroline chante par-dessus. Je n'ai pas voulu d'un vrai live avec tout un tas de machines. En même temps, nous ne cherchons pas à cacher cette façon de procéder car le mini-disc est visible de tout le monde, ça démystifie ainsi un peu la technologie que nous employons.
Il y a donc peu de place laissée à l'improvisation.
C.H. : En fait, l'impro, elle est bien réelle parce que je peux dire des conneries dans mon micro (rires). C'est plus facile pour moi de le faire et, en plus, c'est ce que les gens attendent.
M.A. : Avec le matériel que j'ai, je ne peux pas vraiment faire de l'improvisation ce qui ne m'empêche pas de rajouter quelques petits gimmicks sur chaque programmation. Mais, techniquement, nous ne pouvons pas jouer de morceaux inédits d'une manière spontanée. C'est impossible. Lorsqu'on veut faire une improvisation, je joue, par exemple, un morceau sur lequel Caroline chante les paroles d'une chanson d'un artiste connu. On a alors l'impression que c'est un nouveau morceau (rires).
C.H. : C'est marrant, nous l'avons déjà fait plusieurs fois. Le truc le plus drôle a été de mettre en boucle un de nos morceaux sur lequel j'ai chanté les paroles de "Holiday" (Madonna). C'est un peu comme si je chantais "Happy Birthday" de Stevie Wonder sur "Blue Monday" de New Order : c'est souvent n'importe quoi (rires). Notre truc de prédilection reste les paroles de "Sandwiches" des Detroit Grand Pubahs sur "Life On MTV".
M.A. : L'instrumentation assez dépouillée de ce morceau se prête bien à ce genre d'exercice. Nous avons mélangé les deux morceaux lors d'un live à New-York. Tout le monde pensait que c'était nous qui avions composé "Sandwiches", nous, nous faisions comme si de rien n'était en acquiescent (rires).
Propos recueillis par Laurent Gilot
Photos Enrique et Laurent Gilot
Miss Kittin & The Hacker "The First Album" (Gigolo/Cyber)
Sortie le 15 novembre 2001
www.misskittin.comwww.goodlife-ozone.com





