L'album "Kittenz & Thee Glitz" marque le grand retour du producteur de Chicago Felix Da Housecat sur le devant de la scène électronique. Brillamment accompagné (entre autres) par l'organe de la franco-suisse Miss Kittin, Felix Stallings remet en cause ses acquis et montre qu'il est capable d'aller encore plus loin dans les mariages entre electro, rock, disco, new wave et techno. Explications en compagnie de l'intéressé et retour sur un itinéraire riche en anecdotes.Tu fais figure de vétéran de la scène house de Chicago. Peux-tu revenir sur ton parcours et sur ce qui t'a amené à la musique ?
Felix Stallings Jr. : Lorsque j'étais enfant, j'étais fou. Je vivais dans la banlieue de Chicago. J'ai commencé par apprendre à jouer de la clarinette vers l'âge de 12/13 ans. J'interprétais beaucoup de chansons de Michael Jackson sur mon instrument. Puis, le jour où j'ai vu un mec jouer des titres de Prince sur son synthé avec toutes les filles admiratives qui l'entouraient, je me suis dit que j'allais abandonner la clarinette (rires). C'était en 83/84, j'ai alors demandé à mon professeur de musique comment jouer du synthé. Puis, ce dernier est devenu jaloux de mes prédispositions, il a voulu arrêter les cours, il ne voulait plus rien m'apprendre. J'ai alors demandé à ma mère de m'acheter un synthé et j'ai poursuivi mon apprentissage. Puis, j'ai remarqué qu'il valait mieux avoir une boîte à rythmes alors j'en ai demandé une à ma mère. Puis, j'ai réalisé qu'il me fallait un quatre pistes… (rires). Une fois ce matériel acquit, j'ai commencé à programmer des beats. C'était au milieu des années 80, la house a commencé à apparaître à Chicago. J'écoutais alors des mixes de Farley Jackmaster Funk, Kenny "Jammin" Jason, Mickey "Mixin" Oliver sur la radio locale WBMX-FM. Moi, j'enregistrais des cassettes que je faisais écouter à des amis et, un jour, au lycée, un type est venu me voir : il s'appelait Dj Pierre. À l'époque, "Acid Trax" (le plus gros tube house de l'époque) était encore sur une cassette et cette dernière passait parfois 8 fois de suite dans un bar de nuit. Pierre a écouté les morceaux que j'avais enregistrés. C'était "Phantasy Girl". Il m'a alors demandé de venir dans son home-studio pour faire un morceau et je suis là aujourd'hui (rires).
Comment viviez-vous à l'époque le fait d'être une petite minorité à faire de la musique électronique à Chicago ?
C'est vrai que nous n'étions pas nombreux à croire en ce style de musique à l'époque. En fait, nous étions vraiment une toute petite communauté. Par exemple, Pierre a réalisé "Acid Trax" parce qu'il avait acheté une TB 303 à Marshall Jefferson. Ce dernier avait réussi à acquérir l'une des rares qui était disponible sur le marché. D'ailleurs, si tu fais attention aux crédits sur "Acid Trax", ils mentionnent que le morceau a été produit par Marshall Jefferson. À l'origine, Pierre n'avait aucun matériel et il empruntait celui des autres. Comme il savait que j'avais plus de matos que lui, il venait souvent chez moi (rires). Je ne l'ai jamais dit à personne, mais il louait des boîtes à rythmes 909, 737 ou 808 à la journée pour travailler avec en studio. Il écrivait les paroles, moi, je composais la musique et c'est comme ça qu'on a réenregistré ensemble "Phantasy Girl". Il a donné la démo à un ami à lui et le morceau est devenu un classique à Chicago. Certains Dj le jouent encore aujourd'hui, c'est fou !
Cela a donc été le début de ta carrière ?
Tu sais mec, j'ai vraiment pris toutes ces expériences comme une bénédiction. Se retrouver à 14 ans en studio, c'est incroyable ! Je viens d'en avoir 30 et je me sens vraiment vieux (rires). Quand j'ai commencé à jouer "Phantasy Girl" dans les soirées, les filles voulaient toutes devenir ma "Fantasy girl" (rires). Mais, je ne voulais en aucun cas avoir la grosse tête, je voulais rester tranquille. Par la suite, ma carrière dans la musique s'est arrêtée pendant 4 ans. En fait, mon père et Dj Pierre se sont disputés alors que nous étions rentrés à 3 heures du matin, je n'avais que 16 ans à l'époque. Par la suite, Pierre est allé dégoter un autre joueur de synthé, a enregistré d'autres titres et a attiré l'attention sur lui.
Comment es-tu revenu dans le "circuit" ?
À 19/20 ans, j'ai bossé dans une pizzeria et, en même temps, je faisais partie d'un groupe de hip hop. Niveau production, j'étais plutôt bon alors que j'étais un piètre danseur (rires). À cette époque, je détestais la house music. Je suis allé habiter à Mineapolis et c'est là que j'ai rencontré ma femme, il y a 11 ans de cela. En fait, celle-ci avait entendu "Phantasy Girl", elle adorait la house et elle m'a demandé pourquoi je n'en ferais pas pour elle. Je voulais l'impressionner alors j'ai composé un morceau house pour elle. Elle m'a ensuite convaincu de sortir le titre que j'avais enregistré. Puis, j'ai appris que Dj Pierre vivait désormais à New York où il était directeur artistique pour Strictly Rythm. Je ne savais rien de tout cela car j'avais vécu dans une capsule pendant 4 ou 5 ans et je n'avais pas du tout suivi les évolutions de la scène house. J'ai alors appelé Pierre et il m'a demandé de lui faire écouter les morceaux que j'avais composés. Je lui ai envoyé ma cassette et il a trouvé que mes titres étaient vraiment merdiques (rires). Il m'a dit : "Man, les temps ont changé, cette musique a évolué depuis 1986". J'ai alors suivi ces conseils et travaillé pour me remettre à niveau.
Comment as-tu fait la connaissance d'Harrison Crump, l'homme que l'on retrouve derrière la réalisation de l'album "Kittinz & Thee Glitz" et de tes premiers morceaux ?
J'ai rencontré Harrison quand j'étais encore au collège. Il avait un studio. Je lui ai alors donné le chèque de ma paye en lui demandant si je pouvais enregistrer des morceaux sur sa MPC 6000. J'ai mis au point deux titres dont un qui portait le pseudo de ma femme : "Sophie Blue". Je les ai envoyés à Pierre qui les a bien aimés. Il est alors venu à Chicago pour me faire signer un contrat d'artiste et me donner mon premier chèque qui m'a permis de lâcher mon boulot de l'époque. Puis, je lui ai envoyé d'autres titres mais Strictly Rythm ne souhaitait plus signer d'artistes originaires de Chicago. Il y avait une vraie ségrégation de la part du label, il ne s'intéressait plus qu'à la house garage en provenance de New York dans le style de Lil' Louis mais Strictly Rythm n'aimait plus Mike Dunn, Armando ou Marshall Jefferson. En 91, Pierre a voulu partir en Angleterre et il m'a demandé si je voulais l'accompagner, je ne pouvais pas refuser car l'occasion ne se représenterait peut-être plus.
Ton expérience anglaise semble avoir été décisive dans ta carrière ?
Effectivement ! En fait, ce sont Pierre et son manager qui m'ont présenté Phil Asher car il savait que je cherchais une maison de disques pour sortir mes morceaux. J'ai fait écouter "The Dawn" aux gens de Guerilla records. C'était incroyable, ils disaient qu'ils n'avaient jamais rien entendu de semblable. Ils m'ont demandé combien je voulais, je leur ai dit 300 000 dollars et ils ont accepté. De nos jours, c'est désormais impossible de se faire payer une telle somme par un label underground. Puis, j'ai proposé "The Light", qui était une variante de "The Dawn", a un autre label et je suis revenu à la maison avec 700 000 dollars. J'ai aménagé dans un appartement et investi dans du matériel. Quelques semaines plus tard, le label anglais m'a appelé pour me dire que "The Light" commençait à être joué un peu partout par les Dj. On a demandé à Dave Clark, qui était journaliste pour Mix Mag et qui produisait sur Magnetic North, de faire un remixe. Le travail de ce dernier m'a définitivement inscrit sur la carte des producteurs techno.
Peux-tu nous dire comment a été accueilli l'album "I Know Elektrikboy" que tu as réalisé en 1999 sous le pseudo de Maddkatt Courtship ?
En Angleterre, c'est le label London records qui devait sortir "I Know Elektrikboy" et, finalement, l'album est sorti en Belgique. En France, tout le monde nous a soutenus quand nous sommes venus faire de la promo avec Harrison Crump. En Angleterre, "I Know Elektrikboy" a été encensé par la critique mais il était uniquement disponible en import. C'était vraiment une frustration. J'ai essayé de quitter ma maison de disques mais je ne savais pas que j'étais encore sous contrat. Par la suite, j'ai beaucoup tourné en tant que Dj et je me suis dit que je n'allais pas trop attendre pour réenregistrer un album. J'avais déjà composé sur la route 5 ou 6 morceaux comme "Silver Screen", "Madame Hollywood" ou "Sequel 2 Dub".
Justement, à quel moment as-tu commencé à travailler sur ton nouvel album ?
C'était l'année dernière, à Genève, mais ce n'était pas supposé être un album car je ne faisais que composer des morceaux sur la route. En fait, j'ai joué en tant que Dj au Paléo Festival de Nyon où j'ai rencontré Miss Kittin. Je lui ai alors demandé si elle ne voulait pas aller en studio avec moi pour enregistrer quelques titres. "Frank Sinatra", qu'elle avait réalisé avec The Hacker sur International Deejay Gigolo, était l'un de mes morceaux favoris et j'avais vraiment envie de travailler avec elle. J'adore sa voix parce que c'est du "broken english", le genre de voix le plus sexy et le plus cool qui puisse exister. Quand je suis arrivé en Suisse, une fille du nom de Caroline et un type du nom d'Olivier sont venus me chercher à l'aéroport pour m'emmener à mon hôtel. J'étais un peu fatigué par le décalage horaire et je n'ai réalisé, qu'en les rejoignant au studio, que Caroline était en fait Miss Kittin (rires). Elle m'a dit qu'elle était fan de Jackson et de Prince, qu'elle aimait l'album "I Know Elektrikboy". J'étais conquis !
Comment se sont déroulées les séances d'enregistrement avec Miss Kittin ?
Le lendemain de notre première vraie rencontre, nous avons enregistré "Madame Hollywood" en une heure. On a écrit les paroles ensemble. Puis, "Silver Screen" a été mis en boîte en 3/5 heures. Ce titre nous a pris un peu plus de temps car les arrangements étaient plus durs à mettre en place. Le plus drôle, c'est que dans le studio, il n'y avait presque aucun équipement, juste une vieille table de mixage, un ordinateur et deux synthés, c'est tout (rires). Avec Miss Kittin, nous avons du sampler toutes ces parties car il n'y avait pas de séquenceur, de magnéto à bandes pour enregistrer les voix. Je n'étais pas dans les conditions optimales mais, en même temps, c'était positif car cela m'a prouvé que je pouvais revenir à mes racines, au feeling que j'avais à mes débuts. Miss Kittin a chanté "Madame Hollywood" sur un DAT et puis on a dû tout resampler pour l'enregistrer dans l'échantilloneur ! En fait, j'ai dû demander à la maison de disques d'acheter un ordinateur et un sampler ce qui a rendu fou de joie les propriétaires du studio (rires).
Peux-tu nous parler en détail de certains des titres qui composent "Kittinz & Thee Glitz" ?
"Harlot" a été écrit à un moment où j'étais très en colère envers Kittin car elle était arrivée en studio avec 2 heures de retard. Je lui ai alors dit de repartir chez elle. Dave The Hustler m'a demandé que qu'on allait faire de la journée et j'ai composé la musique de ce morceau en 30 minutes. Sinon, on peut entendre la voix de Melistar, une chanteuse que Miss Kittin m'a présentée. Au final, ce morceau est très étrange mais il faut dire que c'est l'un des derniers que l'on a enregistré pour l'album.
"Walk With Me" a été composé au cours de l'enregistrement de "I Know Elektrikboy". Il y a une anecdote assez drôle à propos de Miss Kittin. Elle était supposée dire "Vanity" dans le texte et elle a prononcé "Vanish". Avec Dave, on se demandait pourquoi elle avait fait cette erreur mais comme le morceau était vraiment cool, on l'a laissé tel quel au final.
"Silver Screen" n'a pas eu l'impact qu'il aurait dû avoir. Lorsqu'il a débuté son show sur Radio 1, Pete Tong l'a programmé et ça a déchiré. Je suis curieux de voir l'impact qu'il va avoir ici. En ce qui concerne les remixes, Laurent Garnier était à Ibiza avec moi cet été et il m'a dit qu'il voulait ce morceau pour F Com. Je lui ai dit que c'était impossible car j'étais sous contrat. Mais, par contre, nous avons insisté pour qu'il fasse un remixe du titre.
"Control Freaq" a été réalisé avec Junior Sanchez dans sa maison. C'était la première fois que l'on travaillait ensemble.
"What Does It Feel Like" : Je voulais faire quelque chose de très punk dans l'esprit pour surprendre les gens qui pensent que je ne suis incapable de composer ce genre de morceau. Les paroles de Miss Kittin parlent d'une fille qui est nymphomane, qui aime le sexe et les voyages…
"Happy Hour" a été conçu dans l'esprit de ce que pouvait faire Blondie dans les années 70/80. Ce morceau marque les débuts de Melistar que je tenais mettre en avant sur ce titre. "Happy Hour" est vieux de 5 ans. Je l'ai intégré car je voulais que l'on retrouve un peu du feeling de Maddkatt Courtship.
"Analog City" a été composé en 50 minutes et c'est un de mes morceaux préférés. Lors de sa conception, j'ai pensé aux BO de John Carpenter comme "Halloween", "Escape From New York", "Christine"… Je voulais qu'il y ait des sons très analogiques. Je crois que beaucoup de gens peuvent s'endormir sur ce morceau (rires).
"Pray For A Star" a été enregistré il y a 7 ans et l'original se trouve sur un album qui n'est jamais sorti. Je l'ai alors réenregistré il y a 3 ans mais comme je n'ai pas pu l'inclure sur "I Know Elektrikboy", je l'ai intégrer sur ce nouveau disque.
"Voicemail" : C'est comme ça que tout a commencé (rires). J'avais dit à Miss Kittin de laisser un message sur mon répondeur où elle pouvait dire ce qu'elle voulait. Ce message a donc servi d'introduction au premier titre chanté par elle sur ce disque.
"Madame Hollywood" est mon second titre préféré. Les paroles se rapprochent de ce qu'à fait Kittin avec The Hacker sur "Frank Sinatra" mais c'est tout à fait dans la lignée du concept "Glitz".
"Enter View" : Je me baladais avec un magnétophone car j'avais dit à Tommy que l'on devait mettre un peu d'humour sur ce disque. Tommy a donc commencé à m'interviewer alors que nous étions dans un magasin de disques. On a pas mal blagué sur des choses assez salaces (rires).
"Glitz Rock" : J'adore ce titre car il y a un feeling très proche de ce que pouvait faire Giorgio Moroder.
"Sequel 2 Dub" est une variation de "Submarine" que l'on retrouve sur mon album pour Radikal Fear : "Metropolis "Present Day" : Laurent Garnier le programmait dans ses sets et c'est pour ça que j'ai voulu en faire une nouvelle version.
"Magic Fly" est une reprise d'un vieux groupe de disco français du nom de Space. J'ai plein de vieux disques de disco mais je ne connaissais pas spécialement ce morceau avant d'en faire une nouvelle interprétation.
"She Lives" est inspiré par le film "Flash Gordon", c'est une sorte de reprise et je voulais qu'elle se rapproche du style de Moroder.
"Runaway Dreamer" n'est pas un morceau qui parle de moi (rires). À la base, ce titre clôt l'histoire d'une fille qui est à l'origine du concept "Glitz". Ensuite, on retrouve "My Life Is Muzik" caché à la fin du disque. Je ne voulais pas que celui-ci figure sur ce disque mais la maison de disques a insisté…
Penses-tu que l'on pourra un jour avoir la chance de voir ce projet sur scène ?
Je ne sais pas car Kittin & The Hacker font leur propre truc et je respecte ça. Elle était déjà une star avant que je ne la rencontre (rires). J'étais il y a 2 jours à Munich et j'ai remercié Dj Hell (Le boss de Gigolo) de me l'avoir prêtée. Je le connais depuis longtemps, tout comme Laurent Garnier. À l'instar de Carl Cox, Derrick May, Dj Sneak ou Derrick Carter, nous sommes les derniers d'une génération.
Propos recueillis par Laurent Gilot
Photo DR
Felix Da Housecat "Kittinz & Thee Glitz" (City Rockers/Omnisounds/EMI)
Sortie le 19 novembre 2001
www.felixdahousecat.com





